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soigner et prendre soin

pensées d'un médecin généraliste devenu gériatre pour en finir avec un système perverti

Il est mort hier...

Aucun de ceux qui me liront ne le connaissait et son décès ne les affectera pas plus que les milliers qui s'affichent à la une de nos quotidiens, et pourtant j'ai envie de vous parler de lui.

Je le connaissais depuis 6 ans. C'était un confrère, ancien médecin militaire, qui avait consacré toute son existence à cet art. Négligeant de fonder une famille, lorsque les années le blessèrent suffisamment pour qu'il ait besoin d'une aide pour les actes usuels de la vie, il se décida à entrer en maison de retraite. C'est là que nous nous sommes rencontrés, lui résident, moi médecin coordonnateur de l'EHPAD.

Il avait cette classe "vieille France", cette prestance naturelle accentuée par une voix grave de stentor. Contrairement à la majorité des pensionnaires en établissement, la collectivité ne l'avait pas soumis. Rompu au fonctionnement institutionnel par ses années professionnelles, il s'était parfaitement adapté et coulait des jours remplis de quiétude.

Hélas, toute vie à une fin. Mais cette fin n'est pas la même pour tous.

Ses dernières semaines furent pénibles. Pour lui d'abord, car la souffrance physique et surtout morale ne le quittait plus. Cette souffrance morale fut accentuée par sa conscience médicale qui le rendait parfaitement lucide sur son état. Nous partagions cette conscience, lui, les équipes de l'EHPAD et moi-même. Mais visiblement, son médecin traitant, mon éminent confrère, restait sourd à nos discours alarmants. Combien de fois les infirmières et moi-même avons nous dû lui réclamer une prise en charge palliative? Combien de fois avons nous entendu en réponse que l'heure n'était pas venue? Que la morphine est dangereuse et que le Tranxène le ferait sombrer dans une léthargie intolérable... Intolérable pour qui? le médecin ou le patient? Pourquoi ne voulait-il pas entendre les cris et les pleurs qui glaçaient le sang des personnels de nuit comme de jour?

Vaste sentiment d'impuissance du médecin coordonnateur qui ne peut intervenir sur les prescriptions des médecins traitants. Énorme frustration des équipes soignantes, qui vivent auprès des résidents et font preuve d'empathie, elles. Et colère surtout face à l'incompétence et l'obstination du médecin qui jamais ne doute ni ne concerte.

Et puis, il s'est éteint. Il ne souffrira plus. Je suis triste, mais aussi content pour lui.

Pour lui, je continuerai d'insister pour que mes confrères se forment à la démarche palliative. Pour lui, je continuerai mon harcèlement envers les médecins pour qu'ils partagent leurs décisions avec les équipes soignantes et fassent appel aux professionnels compétents.

Pour lui, et pour moi aussi.

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